Mystique du temps de Noël (Dom Guéranger – 3)

C’est là cette divine transformation que le monde attendait depuis quatre mille ans, vers laquelle l’Église a soupiré durant les quatre semaines du Temps de l’Avent. L’heure est enfin venue, et le Christ va entrer en nous, si nous voulons le recevoir. Il demande à s’unir à chacun de nous, comme il s’est uni à la nature humaine en général, et pour cela il se veut faire notre Pain, notre nourriture spirituelle. Son avènement dans les âmes, en cette saison mystique, n’a pas d’autre but. Il ne vient pas juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui, pour que tous aient la vie, et une vie toujours plus abondante. Il n’aura donc point de repos, ce divin ami de nos âmes, qu’il ne se soit substitué lui-même à nous, en sorte que nous ne vivions plus nous-mêmes en nous, mais lui en nous-mêmes ; et pour que ce mystère s’exécute avec plus de suavité, c’est d’abord sous la forme d’un enfant qu’il se dispose, ce doux fruit de Bethléem, à pénétrer en nous, pour y croîtreensuite en âge et en sagesse, devant Dieu et devant les hommes.
Et lorsque, nous ayant ainsi visites par sa grâce et par l’aliment d’amour, il nous aura changés en lui-même, alors s’accomplira un nouveau mystère Devenus une même chair, un même cœur avec Jésus, Fils du Père céleste, nous deviendrons par là même les fils de ce même Père ; en sorte que le Disciple bien aimé s’écrie : O mes petits enfants ! voyez quelle charité nous a donnée le Père, que nous soyons les fils de Dieu, non pas seulement de nom, mais en réalité ! Mais nous parlerons ailleurs, et à loisir, de cette suprême félicité de l’âme chrétienne, et des moyens qui lui sont offerts pour la maintenir et l’accroître.
Nous aurions trop à dire, s’il nous fallait présentement montrer dans toute sa gloire le cortège-mystique qui environne la fête de Noël, sur le Cycle liturgique, à partir du jour même de la Nativité du Sauveur, jusqu’à celui de la Purification de la sainte Vierge. La plus magnifique pléiade de Saints et de Saintes se trouve avoir été semée autour du berceau de l’Enfant-Dieu. Sans parler des quatre grands astres qui rayonnent près de notre divin Soleil, duquel ils empruntent toute leur splendeur : saint Étienne, saint Jean l’Évangéliste, les saints Innocents et saint Thomas de Cantorbéry ; quelle autre fraction du Cycle présente, dans un si court espace, une aussi merveilleuse constellation ? Le Collège Apostolique fournit ses deux grands luminaires, saint Pierre et saint Paul, l’un sur sa Chaire Romaine, l’autre dans le miracle de sa Conversion ; l’armée des Martyrs nous envoie les valeureux champions du Christ : Timothée, Ignace d’Antioche, Polycarpe, Vincent et Sébastien ; la radieuse succession des Pontifes Romains détache quatre de ses plus glorieux noms : Sylvestre, Télesphore, Hygin et Marcel ; l’école sublime des Docteurs présente Hilaire, Jean Chrysostome, Ildefonse et l’angélique François de Sales; auxquels s’ajoute, comme eux Pasteur des peuples, Julien le Thaumaturge. La milice des Ascètes députe Paul l’ermite; Antoine, le vainqueur de Satan ; Maur, l’apôtre des cloîtres ; Pierre Nolasque, le rédempteur des captifs ; Raymond de Pennafort, l’oracle du droit et le législateur des consciences. Au rang des défenseurs de la sainte Église éclate le pieux Canut, qui rencontra le martyre en la servant, et ce Charles dont le nom signifie la grandeur. Le chœur des Vierges sacrées est gracieusement représenté par la douce Agnès, la généreuse Emérentienne, l’invincible Martine, la secourable Geneviève ; enfin, dans les rangs plus humbles des veuves, nous vénérons Paule, l’amante de la Crèche, et la reine Bathilde, qui goûta le mystère de Bethléem. Mais n’anticipons pas sur les temps, et laissons se dérouler l’un après l’autre, dans toute la durée de notre quarantaine, les glorieux anneaux de cette chaîne triomphante.
Il nous reste un mot à dire sur les couleurs symboliques que l’Église revêt dans cette saison. La blanche est celle qu’elle a adoptée durant les vingt premiers jours qui s’étendent jusqu’à l’Octave même de l’Épiphanie. Elle n’y déroge que pour honorer la pourpre des martyrs Étienne et Thomas de Cantorbéry, et aussi pour s’unir au deuil de Rachel qui pleure ses enfants, dans lafête des saints Innocents; hors de ces trois occasions, la blancheur des vêtements sacrés exprime l’allégresse à laquelle les Anges ont convié les hommes, l’éclat du divin Soleil naissant, la pureté de la Vierge-Mère, la candeur des âmes fidèles qui se pressent autour du berceau de l’Enfant divin.
Dans les vingt derniers jours, la multitude des fêtes des Saints exige que la parure de l’Église se montre en harmonie, tantôt avec les roses des Martyrs, tantôt avec les immortelles qui forment la couronne des Pontifes et des Confesseurs, tantôt avec les lis qui décorent les Vierges. Aux jours de dimanche, s’il ne se rencontre point quelque fête du rite double qui impose la couleur rouge ou blanche, et si la Septuagésime n’a pas encore ouvert la sombre série des semaines qui précèdent les douleurs du Christ, les vêtements de l’Église sont de la couleur verte. Le choix de cette couleur montre, suivant les liturgistes, que dans la Naissance du Sauveur, qui est la fleur des champs est née aussi l’espérance de notre salut, et qu’après l’hiver de la gentilité et du judaïsme, le verdoyant printemps de la grâce a commencé son cours.
Nous bornerons ici cette explication mystique des usages généraux du Temps de Noël. Il nous reste sans doute encore de nombreux symboles à dévoiler; mais les mystères auxquels ils se rattachent, étant propres à certains jours en particulier, plutôt qu’à l’ensemble même de cette portion de l’Année liturgique, nous les traiterons en détail, jour par jour, et sans en omettre aucun.